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La notion de « pays d’origine sûr » en droit d’asile : analyse de l’arrêt C-406/22 de la CJUE

Le droit d’asile est un pilier fondamental de la protection des droits humains dans le monde et au sein de l’Union européenne (UE). Dans ce cadre, la notion de « pays d’origine sûr » joue un rôle central dans la gestion des demandes de protection internationale.

Le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), rendu le 4 octobre 2024 dans l’affaire C-406/22, clarifie certaines questions essentielles sur la désignation des pays d’origine sûrs et ses implications pour les demandeurs d’asile.

Cet article explore les enjeux de cette décision, en rappelant d’abord ce qu’est la notion de pays d’origine sûr et en analysant les implications juridiques de cet arrêt pour les États membres et les demandeurs d’asile.

Qu’est-ce qu’un « pays d’origine sûr » ?

La notion de pays d’origine sûr est un concept juridique utilisé dans le cadre du droit d’asile au sein de l’UE, pour faciliter le traitement des demandes de protection internationale. Selon la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de protection internationale, un pays tiers peut être désigné comme sûr lorsqu’il est considéré que les demandeurs d’asile qui en proviennent ne risquent pas de subir de persécutions ou de mauvais traitements en cas de retour.

Un État membre de l’UE peut donc rejeter une demande de protection internationale si le demandeur est originaire d’un pays considéré comme sûr, à moins que ce dernier ne puisse prouver que, dans son cas spécifique, des risques individuels existent. Toutefois, cette désignation doit respecter des critères stricts, tels que le respect des droits fondamentaux et des libertés garanties, notamment par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

L’arrêt C-406/22 : contexte et décision de la CJUE

L’arrêt C-406/22 concerne un ressortissant moldave, désigné par les initiales CV, qui a sollicité une protection internationale en République tchèque. CV invoquait des menaces à son encontre en Moldavie ainsi que l’instabilité liée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie comme raisons de sa demande d’asile. Cependant, les autorités tchèques ont rejeté sa demande, en invoquant le fait que la Moldavie, à l’exception de la région de Transnistrie, était considérée comme un pays d’origine sûr.

Face à ce rejet, CV a formé un recours, et la Cour régionale de Brno a sollicité la CJUE pour clarifier l’interprétation des règles européennes concernant la désignation des pays d’origine sûrs.

Désignation d’un pays d’origine sûr pour l’ensemble du territoire

La CJUE a affirmé que le droit de l’Union interdit aux États membres de désigner comme pays d’origine sûr seulement une partie du territoire d’un pays tiers.

En l’espèce, la Moldavie avait été désignée comme pays d’origine sûr, sauf pour la Transnistrie, une région sécessionniste. La Cour a jugé que cette désignation partielle n’était pas conforme, la désignation doit s’appliquer à l’ensemble du territoire national.

Cette précision renforce la cohérence des décisions d’asile et protège les demandeurs contre les distinctions géographiques arbitraires au sein de leur pays d’origine.

Effet des dérogations aux obligations de la CEDH

Un autre point clé de l’arrêt porte sur l’impact des dérogations aux obligations prévues par la CEDH.

La CJUE a souligné que la simple invocation, par un pays tiers, du droit de dérogation aux obligations de la CEDH ne justifie pas, à elle seule, le retrait de son statut de pays d’origine sûr.

Les autorités des États membres doivent toutefois évaluer soigneusement les conditions de mise en œuvre de ces dérogations et examiner si elles remettent en cause les garanties des droits humains sur l’ensemble du territoire du pays concerné.

Obligations des juridictions nationales

L’arrêt C-406/22 clarifie également le rôle des juridictions nationales dans la vérification des décisions administratives relatives à la protection internationale.

En vertu de cet arrêt, le juge national est tenu de soulever d’office toute méconnaissance des règles de l’Union sur la désignation des pays d’origine sûrs. Cela signifie que, même en l’absence d’un argument explicite du demandeur, le juge doit examiner si la décision administrative respecte bien les conditions de désignation d’un pays d’origine sûr.

Les implications de l’arrêt C-406/22

L’arrêt C-406/22 présente des implications importantes pour les États membres de l’UE et les demandeurs d’asile. Il impose une approche spécifique pour la désignation des pays d’origine sûrs, en veillant à ce que cette désignation s’applique à l’ensemble du territoire du pays tiers concerné. Cela garantit que les décisions d’asile ne reposent pas sur des interprétations géographiques fragmentées, qui pourraient compromettre la sécurité des demandeurs.

De plus, la mise en lumière des obligations des juridictions nationales renforce le contrôle juridictionnel des décisions administratives dans le domaine de l’asile. Les juges doivent s’assurer que les décisions des autorités respectent pleinement le cadre juridique de l’UE, protégeant ainsi les droits des demandeurs d’asile contre des erreurs ou des interprétations inexactes des lois.

Résumé des points clés

  • Notion de « pays d’origine sûr » : un pays peut être désigné comme tel s’il garantit un niveau de protection suffisant des droits humains, notamment ceux prévus par la CEDH.
  • Portée de la désignation : selon l’arrêt C-406/22, lorsqu’un État membre désigne un pays comme étant un pays d’origine sûr, cela s’applique à l’ensemble du territoire du pays concerné.
  • Dérogations aux obligations de la CEDH : la simple invocation du droit de dérogation ne remet pas automatiquement en cause la désignation d’un pays comme étant d’origine sûr. Cependant, les autorités doivent évaluer les conditions de cette dérogation.
  • Rôle des juridictions nationales : les juges nationaux sont tenus de soulever d’office toute méconnaissance des règles de l’UE sur la désignation des pays d’origine sûrs lors de l’examen d’une décision en matière de protection internationale.

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