L’état d’urgence a été déclaré en Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 en raison de circonstances exceptionnelles, marquant une période de tension et de vigilance accrue.
Parmi les mesures prises, l’interdiction de l’application TikTok a suscité un débat intense sur la légalité de cette mesure et ses implications sur la liberté d’expression.
Cet article explore le cadre juridique de l’état d’urgence, le principe fondamental de la liberté d’expression et analyse la légitimité de l’interdiction de TikTok sous ce régime exceptionnel.
Qu’est-ce que l’état d’urgence ?
L’état d’urgence est un régime juridique exceptionnel en France, instauré par la loi du 3 avril 1955. Ce dispositif a été modifié à plusieurs reprises, notamment par l’ordonnance du 15 avril 1960 et la loi du 20 novembre 2015, afin de s’adapter aux évolutions du contexte sécuritaire.
L’état d’urgence est mis en place par décret en conseil des ministres, et peut être appliqué sur tout ou partie du territoire national en réponse à deux situations principales : un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou une calamité publique (catastrophe naturelle).
L’état d’urgence est prévu pour une durée de 12 jours,mais peut être prolongé par le vote d’une loi par le Parlement.
Ce régime d’exception confère des pouvoirs accrus aux autorités civiles et permet de restreindre certaines libertés publiques et individuelles. Par exemple, les autorités peuvent interdire les manifestations et rassemblements de personnes sur la voie publique pour prévenir des troubles à l’ordre public. Des zones de protection peuvent être établies pour sécuriser des lieux ou des événements spécifiques. De plus, les préfets peuvent ordonner la fermeture de lieux publics et de lieux de culte pour des raisons de sécurité.
Les sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à des actes terroristes peuvent être bloqués. De plus, les préfets peuvent interdire à certaines personnes de séjourner dans des zones déterminées, et les autorités peuvent assigner des individus à résidence, limitant leur liberté de mouvement.
Ces mesures permettent aux autorités de réagir rapidement et efficacement face à des situations de crise, mais elles soulèvent également des questions importantes sur l’équilibre entre sécurité et liberté.
Le principe de la liberté d’expression
La liberté d’expression est un droit fondamental qui permet à tout individu d’exprimer ses opinions, que ce soit sous forme écrite, orale, audiovisuelle ou autre, sans craindre de sanctions. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789 est l’un des garants de cette liberté.
Cette liberté est essentielle, car elle a un impact sur l’exercice d’autres droits et libertés, telles que la liberté d’opinion, la liberté de la presse, la liberté de manifestation et le droit de grève.
À l’échelle européenne, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) renforce cette protection et dispose que :
“Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y
avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière”.
La liberté d’expression, en tant que pilier de la démocratie, permet aux citoyens de participer au débat public, de critiquer le gouvernement et de partager des idées et des informations. Toutefois, ce droit n’est pas absolu et peut être soumis à certaines restrictions, notamment pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique, ainsi que les droits et la réputation d’autrui.
Ces restrictions doivent cependant être prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique et proportionnées au but légitime poursuivi.
La légalité de l’interdiction de TikTok en Nouvelle-Calédonie
L’état d’urgence a été mis en place en Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024.
Deux décrets ont été pris lors du conseil des ministres du 15 mai 2024 pour en assurer l’application. Le premier décret, portant application de la loi du 3 avril 1955, déclare l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie. Ce décret précise que l’état d’urgence, instauré pour une durée maximale de douze jours, pourra être prolongé par le Parlement par le vote d’une loi.
Le second décret détaille les mesures qui peuvent être prises, comme les assignations à résidence, d’ordonner la fermeture provisoire d’établissements recevant du public, de mener des perquisitions en tout lieu et de prendre toute mesure pour fermer des services de communication en ligne incitant à des actes terroristes ou en faisant l’apologie.
L’article 11 paragraphe II de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence prévoit que :
« Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie”.
Dans ce contexte, le réseau social TikTok a été bloqué sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, une mesure justifiée par des « circonstances exceptionnelles ».
La théorie des circonstances exceptionnelles est reconnue par le Conseil d’État depuis son arrêt Heyriès du 28 juin 1918. Selon cette théorie, en période de crise, l’autorité publique peut disposer de pouvoirs exceptionnellement étendus pour assurer la continuité des services publics et répondre aux urgences de la situation. Le Conseil d’État admet que l’autorité administrative peut, dans de telles circonstances, s’affranchir des règles habituelles de compétence et de forme, ainsi que de certains principes de fond, à condition que ces mesures soient nécessaires et prises dans l’intérêt général.
Le juge administratif contrôle les mesures prises sous ce régime en vérifiant l’existence même de circonstances exceptionnelles, la nécessité des mesures pour répondre à la crise et leur conformité avec l’intérêt général. Dans le cas présent, l’interdiction de TikTok a été prise pour prévenir d’éventuels troubles à l’ordre public ou la diffusion de contenus incitant à la violence, ce qui peut être considéré comme une mesure nécessaire dans le cadre de l’état d’urgence.
Cependant, cette mesure soulève des questions sur la compatibilité avec la liberté d’expression. La restriction de l’accès à un réseau social aussi populaire que TikTok doit être soigneusement examinée pour s’assurer qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de sécurité publique. Il faut donc étudier si cette mesure est proportionnée. Il aurait été possible de passer par une régulation de contenu avant d’interdire tout simplement l’application. D’autant plus que cette application n’est pas la seule disponible. C’est-à-dire que le contenu disponible sur cette application peut également l’être sur d’autres.
Les autorités doivent démontrer que cette interdiction est le seul moyen efficace pour prévenir les menaces identifiées et qu’il n’existe pas d’alternatives moins restrictives. En fin de compte, le juge administratif sera amené à se prononcer sur la légalité et la proportionnalité de cette mesure, en tenant compte des circonstances exceptionnelles invoquées par les autorités.
Un recours en référé-liberté a été déposé par la Ligue des droits de l’Homme et d’autres associations et plaignants. Le Conseil d’Etat a accordé au gouvernement un délai supplémentaire de 24 heures pour verser des preuves supplémentaires à son dossier.
Conclusion
L’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, avec ses mesures exceptionnelles, met en lumière les défis de l’équilibre entre la garantie de la sécurité publique et la protection des libertés fondamentales.
L’interdiction de TikTok illustre cette tension entre la nécessité de protéger l’ordre public et le respect des droits fondamentaux. La légalité de cette mesure devra être évaluée avec soin par les autorités judiciaires pour garantir qu’elle respecte les principes démocratiques
tout en répondant aux impératifs de sécurité.
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